« ici on est bien dans notre petit coin ! »

 

Arnac sur Dourdou, au pays des fraiseuses

 

Première à gauche au premier lampadaire, une forte descente, la mairie d’Arnac sur Dourdou se cache en contre bas du village. Au bord d’un vaste pré et de petits jardinets où les herbes folles se sont recroquevillées dès les premières gelées.

Passé une ruine, une petite flèche en bois indique de contourner sur la droite le long du feuillage. Autrefois, cette habitation abritait l’école communale, au temps ancien des instits à la règle légère, des élèves au piquet et oreilles frictionnées où les cours élémentaire et moyen ne faisaient qu’un.

Ce petit bourg allongé au déboulé du Rimoustel, un ruisseau sauvageon échappé des escarpements du Roc Bituir, ferme la marche au rang des villages les moins peuplés de l’Aveyron. 34 habitants seulement, 34 survivants, 6 à l’année au village, 11 à La Mouline, vu de Rodez, la capitale et son musée Soulages, à deux bonnes heures d’une route sinueuse, ce n’est que bouchée de pain d’un aigre levain dans la France des oubliés.

Aujourd’hui lundi, Fernande Singer est à son bureau de Maire. A sa droite, la secrétaire met en forme le prochain bulletin municipal, les élections approchent et Guy Sales, un ancien cheminot, l’un des sept élus au conseil s’arrache les yeux sur le plan cadastral à la recherche d’un vieux sentier communal.

Au fil du temps, Arnac a perdu son école, son curé, son bistrot, sa culture des fraises qui faisait du village un petit paradis «c’était la richesse de nos anciens. Ils vivaient avec cinq – dix hectares et trente brebis. Ils embauchaient jusqu’à cinq filles pour le ramassage, on les appelait les fraiseuses» se souvient Fernande Singer, Guy Sales assis à ses côtés d’ajouter «j’ai ce souvenir, on n’entendait pas les camions, on les sentait».

La Mairie, c’est le dernier espace de vie, le dernier rempart, le dernier comptoir où l’on peut encore poser ses deux coudes pour simplement parler, pour vider son mal au cœur, pour rompre avec le silence de cette vallée isolée, pour se plaindre des petits riens qui s’enkystent au premier tour de reins entre voisins.

Pour lutter contre le fatalisme, l’engourdissement sournois, la paralysie des consciences…que faire ? Pour éviter le naufrage dans un inextricable maquis administratif…que faire ? Après quatre mandats dont deux le ruban tricolore cintré sur l’épaule gauche, Fernande Singer garde le cap «on est loin de tout, on le sent comme cela, mais il faut avoir des projets».

Laisser sa petite pierre dans ce pays raboté, ignoré, il y a de cela. Entre nostalgie et mélancolie. Entre timidité dissimulée et mine de rien, des convictions affichées. Quelle est la récompense à cela ? L’ascenseur politique ? Faut même pas y penser. Les canalisations à déboucher ? Faut bien s’y pencher !  Le Christ à repeindre sur sa croix ? Faut surtout ne pas être maladroit ! «Je ne suis pas là pour la parade. J’essaie de rester anonyme. J’ai juste envie de faire vivre mon pays à l’année».  Guy Sales est plus directif. Cet ancien syndicaliste, défenseur des petites lignes de chemin de fer et gilet jaune affiché ne cache pas ses convictions, il souligne « ici, la politique, ce n’est pas trop notre débat. On se respecte. On est solidaire. C’est faire des choses pour nos campagnes ». Madame le Maire ajoute «nous ne sommes pas fermés à la discussion, nous sommes parfois d’un avis divergeant mais nous définissons des priorités».  Le toit de la mairie et de l’église en photovoltaïque est de ceux là, le projet éolien aussi malgré une contestation locale qui met en bataille la belle mise en plie de l’élue, la rénovation du presbytère aussi dans l’espoir d’attirer un couple à l’année.  «Mise à prix» estimée : 200 000 euros pour créer un petit eldorado pour jeunes tourtereaux qui se foutent des réseaux sociaux.

Fin de journée, la secrétaire de mairie a toujours les yeux fixés sur l’écran.  Madame le Maire raconte le seul mariage de son dernier mandat, un beau capitaine sorti de St-Cyr, fils d’un général de la Légion « qui » précise-t-elle « a sauté sur Kolwezi ».

Didier passe dire bonjour, c’est l’un des sept élus au conseil municipal. Il est fraiseur tourneur chez BMI à Brusque une petite entreprise familiale qui a eu les honneurs de TF1 pour avoir créé la tapette à mouche «fascagat». Le bonnet à la main, le blouson non dégrafé, il raconte avoir rénové une petite jasse dans la forêt, la «jasse de Py». Ses yeux pétillent, c’est son petit nid. En toute simplicité, il me dit  « ici, on est bien dans notre petit coin ». Je lui réponds « c’est votre slogan de campagne pour les prochaines municipales ? ».

 

 

Rencontres et photographies réalisées le 6 janviers 2020 à Arnac sur Dourdou (Aveyron). Merci à Charles Mathieu pour sa visite guidée

dans le village et son accueil chaleureux