Slab City, rencontre avec Andrew

 

SUR LA ROUTE DE SLAB CITY

« Je pourrais faire n’importe quoi » – rencontre avec Andrew

 

Crash, c’est le chien. Une sorte de chien que l’on n’a guère envie d’avoir aux trousses, coincé au fond d’une impasse. C’est lui qui m’accueille. Il rode, renifle, jappe son coup sans conviction.
Au milieu de la pièce, un homme consulte un petit carnet « Wouai, ok tu fais un tour si tu veux ». Le genre de mec avec qui tu ne racontes pas tes dernières vacances à gambader dans nos vertes montagnes.
 
Je fais un tour, dans cette Librairy, ouverte aux quatre vents, où la poussière s’incruste dans le moindre pli de toute une armée de livres rangés sur des étagères de bonnes fortunes. Je tombe sur des collections complètes façon Rider Digest, je dégote même « La politique pour les nuls » coincé aux côtés de « L’Economie pour les nuls » et des « Malheurs de Sophie ». Dans un coin, sous d’épaisses toiles d’araignées coagulées, des piles de puzzles, des 500 pièces pour construire de parfait coucher de soleil rougeoyant, bancale, une pile de jeux de société, un Trival Pursuit, un Monopoly…
 
C’est Andrew qui tient la bibliothèque de Slab City. Il revient de faire quelques achats au supermarché de Niland. Il s’est payé un Gatorade couleur fluo. Il le siffle rapide. Son chien doit renifler le sucre, il le lèche de partout. Il lâche « ouh là, j’ai l’esprit à 1000 miles ». Il se roule une clope, il s’assoie. On discute.
 
C’est Rosalie, de son vrai nom Peggy Saddik, qui a construit ce lieu en 1999, une Slabber, aujourd’hui décédée prématurément à l’âge de 55 ans. 5 à 6000 livres finissent ici leur vie, écornés, froissés, râpés même si les mots imprimés ne s’effacent jamais. Andrew est l’un de ceux qui depuis sa disparition tient la boutique. « Ici, tout est libre. Ya pas de carte, on n’impose aucun délai. On se sert et on s’en va ». L’hiver lorsque ce squat à ciel ouvert se remplie d’un gros millier de vans, une dizaine de lecteurs vient chercher à tuer le temps. Aujourd’hui, personne ne franchira la porte. 41° au thermomètre, le cerveau joue les cocottes minutes.
 
Andrew a découvert Slab City en 2015. Il a été marine puis a bossé dans le bâtiment mais à 22 ans, il descend des échafaudages, dit « fuck » à sa famille et prend la route, routard, le pouce tendu, au gré des rencontres, des lieux où trouver refuge. « C’est en consultant le site squattplanet.com que j’ai découvert qu’il y avait une « party » organisée à Slab. J’y suis resté deux semaines et de suite, j’ai ressenti de bonnes vibrations ».
 
Aujourd’hui, Slab, c’est sa maison « quand j’étais à l’armée, je n’avais pas à réfléchir, je n’avais pas à me poser la question de savoir quand et quoi manger. Y’avait toujours quelqu’un pour te dire quoi faire et réfléchir pour toi. Ici, tu réfléchies et tu bosses juste pour payer ton eau. J’aime à penser que je suis libre ».
 
C’est son premier été, le grand saut dans le brûlot qu’il filme avec une sorte de GoPro. Sa chaîne Youtube a pour nom « wasteland Librarian ». Certains traversent la Vallée de la Mort en courant arrosés au compte goutte comme des pieds de tomate, lui a choisi cet exode pour vivre une expérience tout aussi ultime qu’il définie ainsi « c’est un challenge. Si je peux survivre à ça, sans argent, sans rien, je pourrais faire n’importe quoi ».

Pour lire l’ensemble des portraits réalisés à Slab City, cliquez sur ce lien : http://gillesbertrand-photography.com/category/blabla/