Slab City, rencontre avec JoJo

 

SUR LA ROUTE DE SLAB CITY

« Qu’est ce que tu veux faire de ta vie » – Rencontre avec JoJo

 

Dans cette famille modeste et catho du New Jersey, Jospeh, ce fut l’enfant chéri de la famille « t’imagines un peu, j’ai été le premier à rentrer à l’université ».

Joseph, c’est JoJo, c’est ainsi qu’on le surnomme à Slab City et plus précisément à East Jesus. JoJo, on ne peut pas le louper lorsque l’on se gare à l’entrée de ce musée en plein air car, aux moindres crissements de pneus et claquements de portières, il sort de sa tanière pour surveiller les allées et venues « je suis un peu le chien de garde. L’été, l’endroit est désert, alors on me paie pour surveiller le coin car ici,  car y a pas mal de vols et de vandalisme».

Jojo est arrivé à Slab en novembre dernier accumulant les petits boulots, les combines et les emmerdes qui vont avec. Depuis plusieurs semaines, il crèche ici chez Jack, un artiste qui, l’été pointant son nez, se fait la malle pour se mettre au frais. Jojo passe tantôt ses nuits dans le van, parfois  il dort dans une voiture désossée, encore debout sur ses quatre roues mais sans porte, ni coffre, l’air bag avachi sur le volant.

Jojo, c’est le beau gosse, pas encore matraqué, ni désossé par un Slab sans pitié. C’est le genre de mec qui se la joue cool mais qui n’éprouve aucune crainte à dégainer lorsqu’il faut attaquer. Car l’animal a appris à se battre, à se défendre. Il porte un poignard dans le pli du dos « et mec, on est dans le désert ici, j’ai un couteau pour rester en vie ».

Joseph était promis à devenir curé, ses parents en gloussaient d’aise. Imaginez un fils qui étudie la bible à l’université, qui se cloître dans un monastère à Big Sur pour obtenir enfin un ministère à San Bernadino. Sauf que dans ce lieu de culte où il poursuit l’étude de la bible « il n’y avait que des personnes âgées. Y’avait pas de filles ». La messe est dite. Joseph dévisse de sa charpente, se fait des copines et cherche des jardins d’Eden où poussent des plantes conduisant au paradis. Pas de bol, il se fait gauler en possession de cannabis « ouaih, tu peux me croire, je n’étais pas un dealer, c’était pour ma consommation personnelle. J’avais sur moi 6 pounds d’herbe (2,7 kg !) ». Il prend cinq ans qu’il purge dans une prison du New Jersey.

En taule, il y apprend les règles. Il se bat pour délimiter son territoire. Il me montre cette fine cicatrice qu’il porte sous le cou « Pendant toute ma détention, je n’ai reçu aucune visite de mes parents. Là maintenant, ça fait onze ans que je n’ai plus de contact. Le seul qui m’a aidé, c’est un prêtre. Il venait chaque semaine. J’ai prié avec lui en demandant à Dieu de ne pas me juger, de ne pas me punir car mon intégrité est bonne». Avec lui, j’ai appris une chose « qu’est ce que tu veux faire de ta vie ? »

La réponse de JoJo est simple « être libre ».  Il migre ainsi en Californie.  4000 kilomètres, ça doit permettre de voir le soleil de plus près sauf que la police le coince et le colle à nouveau au trou pour 8 mois, faute d’avoir respecté les règles de sa probation.

Etre libre à Slab City, c’est l’expérience que vit aujourd’hui Père Joseph le défroqué. Il affirme « ici, je me sens dans la bonne direction, je suis une personne libre mais dans un endroit qui n’est pas libre. De toute façon, tout présente un risque dans la vie. Maintenant, je veux vivre des expériences ».

Alors il griffonne des bouts d’histoire, des poèmes, de nouveaux alphabets dans des calepins fripés, son chien alangui, avachi à ses pieds « mon chien, c’est mon bébé, il vit comme moi, il pense comme moi ». Il se réclame d’Albert Camus « moi, j’écris dans les silences » perché sous acide et autres champignons hallucinogènes. Il se juge ainsi « je suis une personne excentrique, explosée ». Tous les samedis soir, il réunit les copains « faut que tu viennes, tu verras, c’est sympa ». Il met son plus beau bandana, il joue du ukulele, il épate la galerie « je suis un mec qui parle beaucoup ». Il raconte cela en fumant une saloperie, il me dit « attends, je vais te montrer un truc ». Sur son téléphone, il met en plein écran une photo de lui, débout sur le marche pied d’un van où est écrit « ladies room ». On le voit, se couvrant le sexe avec son short à la main « c’est pour un calendrier qui sera édité en octobre. Je devais faire le mois de juillet. J’ai posé le premier. Au départ, ça devait être avec un drapeau américain. Mais bon !? Finalement c’est moi qui vais faire la couverture. T’imagine ? ». Il s’amuse en supposant « putain, si avec cela je gagnais un million de dollar, je prendrai la route avec mon chien et je me garerai là où j’ai envie ». Il ajoute « mais dans tous les cas, je reviendrai, car ici c’est ma maison ».

 

Pour lire l’ensemble des portraits réalisés à Slab City, cliquez sur ce lien : http://gillesbertrand-photography.com/category/blabla/