Au cul du taureau, de la testo dans le turbo

 

Le vent souffle fort au coin de ce pré adossé à la cave coopérative abandonnée, vaste paquebot fantôme comme échoué, ensablé aux abords de la ligne TGV. On y prépare les chevaux pour l’Abrivado, la première de la saison dans ce village gardois à un galop des arènes de Nîmes.

Sultan fait la gueule, la mine des mauvais jours. On vient de le descendre du camion. Sur le métal froid de la rampe, il claque des sabots en secouant sa crinière blanche écrue. Sa cavalière le tient au plus serré, une brunette portant une longue jupe noire lui recouvrant presque les étriers. Elle n’a que 15 ans. Elle en fait 10 de plus. Peut être à cause de cette peinture noire qu’elle s’est barbouillée sur le front et les joues. Une tradition d’autrefois en pays camarguais, lorsque gamins intrépides et castagneurs aux visages peinturlurés de suie, surnommés les charbonneurs, coursaient et chatouillaient les taureaux  en partance vers l’arène.

Les jeunes du village arrivent, nombreux, 500 peut être. Les garçons sont pour beaucoup habillés en kaki «decat» jusqu’aux pieds, quant aux gaminettes, c’est le spencer faux cuir laissant le nombril à l’air qui a la cote. Malgré le vent glaçant et mordant. Les parents n’ont certainement pas mots à dire.

Sous un hangar ouvert justement aux quatre vents, les steaks hachés se font déjà dorer l’échine, les frites nagent et frétillent dans un bain d’huile, un gamin déluré, la main cassée, porte les baguettes déjà ramollos, quand au 51, il trône fièrement sur ce long comptoir, la boisson des braves.

Car il faut qu’en même un peu de bravoure à se lancer au cul du taureau lorsqu’il s’échappe du camion, encadré par les gardians, pour une course folle dans ce pré ceinturé d’un enclos protecteur. Dans le lot, il n’y a pas que des téméraires. Il y a les faux fanfarons, les dragueurs, les timides, les introvertis, les bagarreurs, les bras cassés également, ceux qui ont morflé dans ce combat bestial et initiatique. Ils sont qu’en même une petite centaine à défier la bête noire, puissante à la robe luisante, on les surnomme les attrapaïres. Leur défi, prendre le taureau par les cornes, mettre le « biou » à genou et lui faire mordre la poussière. Il n’y a pas de cocarde à décrocher, sur  l’Abrivado, seul compte le taux de testo qui est au turbo.

 

 

Reportage photographique réalisé le 3 février 20129 à Manduel (Gard – France) lors de l’Hivernale – Abrivado