Canac

16 décembre 2019

je veux juste rester perchée

  J’aime les petites routes qui se la coulent douce, louvoyantes, coulantes, dans une nature qui glousse tendrement. La D12 entre Camarès et Brusque est de celle-ci. Vu du ciel, ruban noir sinueux presque paresseux, plaqué en fond de vallée. Tout en courbes et déliés comme une écriture fine, cherchant une porte de sortie, sans exclamation, sans point d’arrêt. Passé Brusque, passé les vieux entrepôts Rouquette, elle passe de 12 à 92 et devient coquine et cabotine. Elle perd de sa largeur, elle prend de la hauteur. La vallée se creuse, en contre bas, le Dourdou bordé dans son lit, n’a plus aucun garde fou, impétueux et sinueux, assaillant et fracassant. J’écoute Alex Beaupain, il chante «cours camarade, le passé est derrière toi». Le mot «cours» me fait bien évidemment sursauter. Il fait sombre, je mets les phares, il enchaîne «le vieux monde sent la poussière». La mélancolie de Beaupain colle au pare brise comme une nuée de moucherons un soir d’été ronchon. Je passe Arnac sur Dourdou. Est-ce le vieux monde ? La plus petite commune de l’Aveyron, trente cinq habitants, seulement six à l’année. Sont-ils vénérables, adossés à leur passé, sans pacte ni compromis, sans truquage ni pont levis ? Je passe vite, je me promets de revenir. Que l’on me conte l’histoire du charretier Cros, du curé Cloustaquart, de Caïfa, le marchant ambulant…Beaupain fredonne encore « le passé est derrière toi». J’aimerai le contredire. Le passé est bien devant moi. J’étais prévenu, la D92, c’est la route […]