confinement

30 avril 2020

On ne veut pas passer pour des héros de la nation

  MILLAU-VID   Gamin, notre médecin de famille s’appelait Monsieur Bilbille. Je dis Monsieur car c’était un Monsieur, un notable, un petit bourgeois de la commune. A toute heure, pour une grippe, une crise d’arthrite, il arrivait, la moto à toute vapeur, une BM R50 noire flaque, sans casque, un peu cosaque, un peu fantasque. Je me souviens de son cabinet médical installé dans une belle maison de pierres et de briques, de son parc noyé sous les marronniers trapus et feuillus. J’y jouais souvent, un privilège, avec le sentiment de rentrer dans un royaume interdit scintillant, hypnotisant, dans les jupes de ma grand-mère Madeleine. Elle était femme de ménage chez les Bilbille. En ces temps pas si lointains, on disait «bonne à tout faire», je déteste ce terme, à briquer les dorures, à vider les ordures, à torcher les moutards, à refaire les plumards, à repasser les beaux costumes, à raccourcir et ajuster les beaux corsages à fleur de Madame, une très jolie brune toujours pimpante, épais rouge à lèvres carmin, regard sombre, virevoltant avec une aisance naturelle, envoûtante, une grâce orientale d’une Oum Kalhoum sur la scène de l’Olympia chantant sous les yeux du Général de Gaulle.   «C’est peut être mon côté vieux jeu, j’aimais bien l’idée du médecin de famille, avec ce rythme particulier, suivre une famille de la pédiatrie au grand-père». A ma question «pourquoi devient-on médecin ?», telle était la réponse de cette jeune médecin, Amandine Yvon, que j’avais devant moi dans cette salle […]
24 avril 2020

De l’or blanc, de l’or vert

  MILLAU ET ROQUEFORT-VID   Des fleurs en ribambelle, une caresse sur la joue, tendre quotidien, En bande, en sarabande, comme des massifs coralliens, Le lilas blanc ou rose pour chasser le morose, La giroflée, en escorte, en main-forte, en osmose.   Migraineux, chapeauté, le spleen en prise, en capeline, Baudelaire se devine, son ombre, seul sous la bruine, Sa mélancolie, vile harmonie qui bat des ailes, Dans la pénombre du soir à chasser les infidèles.   Au balcon, grand tour d’horizon, des ciels fiévreux, chassieux, Des nuages en cavalcade, dans un ciel giboyeux, Ciel de goudron, à faire grincer les violons, Nuages enchâssés, à portée de mains, montgolfières ou édredons.   Je frôle des camions et encore des camions, Des allers, des retours au petit jour, tout à reculons, Faut lâcher le mégot, coup de volant, tout au rétro, Piano, piano, vitre baissée, faut pas être manchot.   Dans les fissures, dans la froidure, le petit peuple des laborieux, En forteresse, pour que le blanc marbré devienne crémeux, En charlotte, en bottes, en tabliers comme des redingotes, Soudain, le silence des besogneux, la ville est calme, on me chuchote. Photographies réalisées les 20 et 21 avril 2020 au 36 et 37ème jour du confinement à Roquefort sur Soulzon – Aveyron
19 avril 2020

Le confinement, ça gratte, ça gratte

  MILLAU-VID   La 2CV, c’est comme la vespa, c’est un art de vivre. C’est la simplicité, ce sont des formes uniques, une silhouette indéfinissable avec ce bombé, ces galbes, ces courbes, sans oublier les détails, les phares, les sièges, les roues, le coffre, le rétroviseur, les freins. C’est aussi un bruit, reconnaissable, identifiable même place de la Concorde. Certains disent «ce sont des oeuvres d’art».   Je l’ai entendu arriver de loin, ce cliquetis précis, pas vraiment perché, un poil dans les aigus, assez incisif pour identifier cette deuche allant bon train au pied des remparts. Place de la Mairie, dans un virage à droite, elle s’est inclinée légèrement, pas de changement de vitesse, tout en seconde, bruit renforcé, légèrement perché. Le bolide juste garé devant moi, je demande à la conductrice, une baguette sous le bras, vite achetée au boulanger des remparts «elle va bon train votre voiture ?».   Il est 8 heures, La Cavalerie se réveille en douceur. Pas un képi blanc dans les rues, la Légion somnole. Pas un souffle de vent, le drapeau gît en berne, enroulé sur son mât comme un serpent, tête en bas. Devant l’entrée du régiment, le planton de faction est emmuré et figé sur ses deux jambes comme une âme en peine. A quoi pense-t-il ? A sa patrie lointaine ? A son amoureuse lointaine, belle comme un Hawaïenne ? Non loin, seuls quatre troufions tripatouillent dans un buisson, l’un deux, d’un fort accent russe me lance «ben oui, […]
17 avril 2020

Les Templiers dans 165 jours, c’est dans un siècle !

MILLAU-VID   « Gilles…Gilles… »…Cette voix, plus exactement cet accent, je le connais, un mélange de titi parisien et ce phrasé si particulier du centre de la France, pour être plus précis du côté de Saint Amand Montrond. Je me retourne, c’est bien elle, celle qui fut autrefois poissonnière aux Halles de Millau avec comme vous pouvez le deviner, une certaine gouaille pour vendre rougets, merlus et autres grondins, sur le flanc gisant, les écailles luisantes «Ah, j’en peux plus de ce masque» et d’ajouter dans la foulée vite fait bien emballé «alors les Templiers, vous y croyez ?». A question directe, réponse évasive, réponse de Normand (que je ne suis pas…) «on verra». J’ai fait pivoter ma main, face dorsale puis face palmaire pour ajouter « allez, c’est du 50/50 ». Au 32ème jour du confinement que pouvais-je dire de plus ? Afficher un optimisme stupide et infantile ou bien me rouler dans le catastrophisme ambiant, j’ai choisi la voie médiane comme lorsque gamin on apprend à marcher sur le bord d’un trottoir, les bras écartés, bouts de pied tendus, à chercher un équilibre fragile. J’ai poursuivi mon chemin. De loin, j’ai vu Christian traverser le boulevard, blouson bleu des Templiers sur le dos et casquette blanche reconnaissable. Avant même qu’il ne stoppe à cinq mètres de moi, je connaissais déjà la question «bon alors, faut-y croire ? Tu le sais moi pour octobre, je suis prêt». J’ai rassuré comme je pouvais ce bénévole dévoué qui chaque année, sans […]
16 avril 2020

« Je t’apporte un morceau de chou »

  MILLAU-VID   Texte et photographies réalisées à Saint Martin du Larzac, commune de Millau, au 30ème jour du confinement.   La lumière est toujours là. Le Larzac des champs, à contre courant, le Larzac des lavognes, des nobles besognes. Le Larzac de brume, de baumes et de buissières. Pas étonnant que les hommes, les femmes en soient fiers de leur plateau d’argent, ciselé, tailladé, rampant, de leur Rajal couleur pourpre sous le vent d’autan. Guère étonnant que le vent y trouve grâce, à tournoyer, à louvoyer, à jouer les garces. Sans muselière, sans porte-voix, en aboyant, en hurlant. Le Larzac peut grincer, chantonner, siffler à nos oreilles. Il peut s’éteindre, briller, s’effacer, à jamais pareil. La lumière est toujours là.   Dans cette buissière, elle tire des lignes, elle fuse, elle perce le mur végétal. Elle ricoche sur la pierre, elle rebondit sur ces racines en souffrance, sur ces troncs noueux, parfois coudés, parfois déliés. Elle est opaque, compacte, sombre comme un tombeau. Elle est puits de lumière, puits de fraîcheur, puits de silence. Le vent la caresse par la cime, le vent s’y casse les dents. Elle est pénétrable, impénétrable lorsque l’homme l’abandonne. Elle s’enfuit, droite, puis elle ondule, elle s’épaissit soudain, elle s’éclaircit, puis plus rien. Seules quelques roches noires alignées, quelques clapasses ajustés, empilés, triés sur le volet. Puis le tunnel se reforme, en ovale, en ogive, en obus. A nouveau le sombre, l’obscur, à nouveau une enfilade, une chicane. Puis l’espace, comme une offrande. Soudain, […]