Slab City, les Snowbirds se sont envolés

 

Pour préparer les troupes américaines qui doivent intervenir lors de la seconde guerre mondiale, c’est ce coin désertique de la Californie qui est choisi pour construire la base Dunlab pour former les unités à s’engager en milieu aride notamment en Afrique pour l’opération Torch au Maroc et la campagne Tunisienne sous commandement du Général Patton.

De cette base qui n’aura été opérationnelle que neuf années, de 1940 à 1949, il ne reste que quelques vestiges dont les surfaces encore apparentes ont fait le bonheur des graffeurs, trois réservoirs, un tanker, une piscine et quelques dalles cimentées, des « slabs » qui ont donné le nom à cette cité du désert.

 

Si Slab City fut, au départ de l’armée, un camping autogéré accueillant les Snowbirds, ces retraités venus passés l’hiver au chaud, il est difficile aujourd’hui de qualifier cette cité protéiforme s’étirant de part en part la route qui autrefois conduisait au QG de la base. L’ancienne guérite et Salvation Mountain marquent l’entrée dans Slab City. Est-ce en réalité une ville ? Un bidonville ? Un squat ? Une ZAD comme nous les connaissant en Europe sur des lieux de contestation ? Sans doute un mélange anarchique en orbite autour du Range, cette boîte de nuit à ciel ouvert, épicentre de ce camp tribal où l’été venu, seuls 150 à 200 slabbers subsistent malgré des températures caniculaires, résidant de vieilles caravanes, vieux trailers ruinés et défoncés, une grosse centaine au total, ensablés comme de vieux rafiots échoués sur le flanc.

 

Il y a bien encore une église, fermée et revendue il y a peu à un canadien à la sale réputation, un insolite terrain de basket en pareil lieu. Deux business reconnus et affichés, Solar Mike qui fait son beurre dans le solaire et Pendarosa sur la route de la Librairie, amoncellement de caravanes qui fait office de AirBandB au confort sommaire. Plus loin, un cimetière pour chiens et pour Slabbers qui ont mordu la poussière ici. Quelques cailloux alignés, c’est tout. En dehors de cela, il y a bien une micro-économie, souterraine et rampante, comme les vendeurs de flotte livrant les containers pour 25 dollars les 100 litres, les dealers qui ont pignon sur rue pour fourguer leurs poisons échouant dans les veines et les neurones de jeunes défoncés en quête ici d’un paradis artificiel.

 

La police ne vient que rarement fouiner dans Slab City. Elle n’intervient que lors des cas grave, comme dernièrement à propos d’un homme vivant avec 25 chiens, défoncé night and day à l’alcool, laissant crever les cabots sous la chaleur meurtrière. Plus récemment, chez une femme, vendeuse de bijoux à l’entrée de Slab, vivant seule avec sa gamine, toxicos toutes les deux à la meth.

Quant à l’armée, elle circule encore quotidiennement à travers la cité pour rejoindre au-delà d’un canal d’irrigation, un terrain de manœuvre nocturne. Régulièrement, les rumeurs que les marines se réinstalleraient sur ces terres d’Etat font frémir cette petite communauté.

 

Certains touristes venus découvrir Salvation Mountain poussent parfois la curiosité à pénétrer dans Slab pour visiter East Jesus, un quartier réservé à des artistes « en résidence » créé en 2006. Ce quartier n’a rien de mystique, un lieu de contre culture, de création expérimentale basé sur l’utilisation presque exclusive de produits de récupération assemblés, triturés, déformés, soudés, compressés. L’été, East Jesus est déserté. Les artistes sont à la fraîche. Il y rôde un silence de mort. Le vent soulève la poussière. Parfois une porte grince, des éclats de verre tintent.  Des cranes sculptés vous observent, droit dans les yeux. Slab City ne dit jamais tout la vérité.

 

 

Photographies réalisées entre le 25 août et le 2 septembre 2018 à Slab City (Californie – USA)

 

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