Le scénario, on peut l’écrire à la lettre près, les yeux bandés. Chaque année, mi septembre, une petite lumière s’allume au fond du tunnel. Une respiration, on se frotte les yeux… pas de doute…c’est bien la fin du tunnel. Les tableaux sont alignés comme des soldats de plomb, les panneaux comme des épis de maïs, mille cartons empilés comme des containers dans le port du Havre, chacun, chacune à son ordre de mission, les livreurs se succèdent à notre porte et…patatras…c’est le début des emmerdes, des mesquineries, des coups bas, des sangsues et des tiques. C’est la semaine des coups durs et des coups bas. On la connaît, on la redoute…et là encore, bing on s’est pris une grande gifle.

Semaine 39, ce fut la semaine des galères, du moral en berne et des pensées en friche. Des parkings et des barrières qui partent en fumée, des bénévoles qui font pschitt, un parcours remis en cause, des petites et grosses misères…bref la vie d’une organisation, ce fil rouge maintes fois décrit sur le quel chaque organisateur avance, sans balancier entre les mains, pointe de pied tendu, à la recherche d’un équilibre si incertain…si mal compris »Ah mais vous êtes rodés»…. »Ah bon on est rodé ??? » Phrase qui tourne en rond dans le tourniquet du Mandarous, comme un vieux vinyle grésillant…quelle foutaise !

Le plus dur, ce fut ce mail expédié par le Parc des Cévennes retoquant notre parcours Endurance Trail dans les Gorges du Tarn, un tracé pourtant identique à l’an passé. A un mois de la course alors que la cartographie, les fiches mission, le dispositif secours sont calés, c’est la goutte épaisse qui fait des vagues comme un jour de marée noire.

Alors on s’est remis illico le nez dans les cartes, le cadastre, un peu de km ici, un peu de déniv. Ià…et ces putains de coefficients ITRA à respecter. Le temps était gris, la pluie était annoncée forte et grimaçante, qu’importe, fallait bien régler ça au plus vite. Le Causse Noir fut vite traversé. Peyreleau à peine esquissé, traits fins au fusain, quelques virages, une plaque gravée comme repère, la grande piste de la Bartasserie sur la gauche, un stop à l’ancienne ferme de Massabiau pleurnichant dans son écrin de solitude. Le vent soufflait fort. Une humidité douce, presque caressante, un souffle perceptible dans les pins vibrant, ondulant, une piste sinueuse comme un long boa alangui, le causse aimanté, le maillot qui colle à la peau, l’odeur de la sueur, de la mousse, de la résine. Oui, ça s’est bien ! Ca, ça me plait ? Des arbres en forme de licorne, certains ventrus comme des violoncelles… et puis cette trace bien formée, souple, arrondie, tout en courbe…pour se laisser aspirer au milieu de rochers émergents comme de gros phallus, comme des statues de l’île de Pâques…

Clin d’œil, les deux pouces tendus, j’ai envoyé un texto rassurant « c’est bon j’ai trouvé ». Puis j’ai quitté cette trace, je me suis plié en deux, des deux mains écartant, droite, gauche, droite gauche, buis et branchages me balayant le front. J’ai roulé en boule au fond d’une ravine, je me suis redressé, j’ai grimpé mains nues sur ce cap barré, je me suis accroché à ces petits pins noueux comme des bonsaïs fixant le vide, presque narquois. En contre bas, une nichée de vautours au col blanc piétinant un rocher raviné. L’un deux s’est envolé…un peu lourdingue…demi tour à droite, cap sur ce fond de vallée…majestueux…je l’ai envié.

 

Millau, le 22 septembre 2019