Nuit bleue sur le Lévézou

 

Lune curieuse, lune précieuse, lune rieuse. Juste un croissant. Je l’envie ainsi à demi-cachée, à demi-voilée. Comme un sourire parfait dans le noir bleuté d’un ciel encré à l’excès, lèvres pincées, libre de glisser ainsi, sidéral, dans ce vaste caravansérail astral.

J’ai rendez vous avec le nouvel an. Sur cette route du Lévézou qui me mène je ne sais où un soir de réveillon sans cotillons ni Patrick Juvet sur le microsillon. Pas besoin de se mettre sur son 31 pour vivre ainsi un 31 en libre farandole pour sagittaire noctambule sans baby doll. Pour seul guide ? Ce croissant de lune espiègle, se cachant, se dérobant, s’évanouissant puis réapparaissant tout sourire au gré des nappes de brouillard se déchirant ici et là à l’heure des cris aux loups et du hibou.

J’ai donc rancard avec ce grand bazar d’une année en reddition pourchassée par une nuit infinie. Sur le Lévézou, je plonge dans le flou. Ca oblige au silence. De toute façon, ya-t-il plus à dire ?  Ya-t-il plus à réfléchir ? Si proche des douze coups de minuit à cavaler ainsi dans le sillon ondulant des grands champs. Ca oblige au regard perçant dans le halo des phares éclairant. Pour ne voir que l’essentiel, pour fuir le superficiel. Je suis en confiance. Je rentre dans la confidence, aspiré par ce V de lumière dans lequel défilent sur les bas côtés murets, fossés, piquets bien alignés et arbres tordus, fourbus par tant et tant de conquêtes sur les vents assaillants.

Je fais le tour du Pareloup, ce lac qui se découpe comme une pieuvre pour épouser et lécher les contreforts du Lévezou. La vierge blanche le bras droit levé vers le couchant,  le soleil en apnée pour son dernier tour de passe passe de l’année, je suis au pays des bondieuseries. Combien de Christ cloutés sur la croix ? Combien de stèles pour croire au septième ciel ? Combien de chapelles aux bénitiers asséchés ?

Vezins, Bouloc, Curan, Bonneviale, La Capelle Farcel, Alrance, je croise un camion collecteur de lait attardé et deux voitures, une 204 rouge et un C15 blanc. Sous un lampadaire, celle-ci s’arrête à ma hauteur, le conducteur tourne la manivelle, la vitre se baisse. Il se penche, il me dit « vous savez que les flics vous recherche ». Je lui réponds « pas de soucis, j’ai déjà les oranges avec moi ». Il tire sur sa clope, sa bagnole pue le tabac. Il esquisse un petit sourire et repart sans mot dire.

Les Canabières, Goutelongue, le Bastizou, je croise un renard en fuite, deux chiens mal polis, un chat grincheux et peureux, un soir de Saint Sylvestre, le Lévézou ne fait pas dans la java. C’est le calme que j’aime, enveloppant comme une large étole soyeuse et voluptueuse.

Une tête se pose sur mon épaule. C’est mon amoureuse. Col de Poulzinières, un panneau m’indique 1048 mètres d’altitude. Il est minuit passé de quelques secondes. Je coupe le contact, je coupe les phares, je lève les mains. Je me laisse descendre ainsi dans le silence. J’entends une voix, elle me murmure « mais tu fais quoi ? ». Je réponds «je rêve».

 

 

Photographies réalisées sur le Lévézou ( Aveyron – France) un soir de réveillon de la Saint Sylvestre entre le 31 décembre 2019 et le 1 janvier 2020