« Moi, je rêve d’un maire libre »

MILLAU-VID

 

Pas même une éraflure, pas même une déchirure. Même pas une petite moustache au stylo barbouillée, même pas une dent noircie au feutre noir, même pas une petite injure, un «fuck» par ci un «fuck» par là griffonné à la va-vite…Les affiches des Municipales sont restées intactes comme si nous étions restés en entracte, le rideau baissé, dans l’attente infinie de l’acte 3, le dénouement, de cette petite comédie-tragédie locale.
Les chemises blanches sont restées blanches, les sourires de circonstance sont restés crispés, les vestons bien ajustés, les slogans, les engagements de chacun comme figés à la colle extra forte sur les panneaux électoraux… »Avec vous»…»Aujourd’hui au plus proche de vous»… »Avec vous pour demain … »Continuons ensemble» et pour la liste Alternative, un seul mot dans le coin extrême gauche de la photo de groupe «Urgence».

24 jours après ce premier tour des Elections Municipales, je retrouve celui qui a écrit sur sa profession de foi «Aujourd’hui au plus proche de vous». Philippe Ramondenc habite sur les hauteurs de Millau, là où autrefois son grand père grimpait de buis en buis à travers causse, le fusil et la gibecière à l’épaule pour chasser le perdreau.

Les cerisiers sont en fleurs, le barbecue attend des jours meilleurs, la brouette attend un peu de courage de la part du propriétaire et le chien, un jeune setter anglais joue les feux follets. Philippe Ramondenc me reçoit barbu, il se frotte les deux joues, il s’en excuse. Nous rentrons. J’essaie une question d’introduction, très circonstancié, il faut bien l’avouer «as-tu été le candidat qui ne porte pas de masque et qui ne prend pas de gants ?». Celui-ci tripote ses lunettes nerveusement comme pour faire défiler les perles d’un misbaha. Il me répond : «C’est un peu ça. Mais j’essaie d’être courtois car je suis prof donc je fais attention à ce que je dis. Mais néanmoins, je ne suis pas là pour me cacher». Avec un style bien particulier, bien racé, rarement sur ses gardes, rarement en contre, le plus souvent à l’attaque, un petit côté punchy, rocky sur la scène comme dans la vie «tous les jours, je rentre en scène comme prof. Le gamin pour le capter, il faut occuper l’espace. Et dans la vie, je ne suis pas autrement».

Philippe Ramondenc n’est pas un personnage public et politique ordinaire, cadré, formé et rôdé à la ligne écrite d’un parti avec ses barons locaux et ses seigneurs de la guerre. Il a bien tenté de se rallier à une formation, un an à l’UMP, sa mère Hélène a fait deux mandats sous Jacques Godfrain, mais écouter les chefs et garder le petit doigt sur la couture, quitte à se brûler les phalanges sur le couvercle brûlant de la politique, c’est décidé, ce sera seul «Je me souviens d’une réunion à Pont de Salars. Ce soir là, j’ai pris conscience de ce que je voulais vraiment, être libre et penser ce que je veux sans être tenu». Comme se battre à cœur ouvert contre l’hôpital médian, le grand thème de cette campagne 2020, une prise de position défendue avec mordant et garde ouverte et qui aujourd’hui en pleine crise sanitaire trouve toute sa justesse.

Et depuis, après quatre campagnes, déjà prêt pour une cinquième, il n’a pas quitté le sillon tracé. A labourer, à ferrailler dans ce grand fond de vallée avec la même pugnacité, avec plus où moins de bonheur lorsque l’urne est ouverte, que les enveloppes tombent comme un château de carte sur la table de l’assesseur. Le verdict tonne et assomme parfois avec violence, balayant même les plus robustes, comme en ce dimanche 15 mars au soir lorsque les scores de chacun sont annoncés. Deux candidats en tête au coude à coude et Philippe Ramondenc dans l’ombre, dans la pénombre à 17%, «pas compté» mais sonné… « je ne souhaitais pas réagir à chaud car c’est dur de s’expliquer lorsque la déception est là. Avec Nicolas Chiotti, nous avions une belle équipe. Nous avons été solidaires. J’ai le sentiment que nous avons fait une belle campagne. Mais là, il faut être honnête, nous n’avons pas fait le score voulu. Mais je me suis libéré, j’étais bien et heureux de m’engager, j’ai dit ce que j’avais à dire. On a essayé d’informer».

Le 16 au matin, le candidat Ramondenc reprend le chemin du collège. Le moral et les idées à sec, il nage les yeux mi-clos, dans ce vaste cloaque post électoral, il flotte migraineux dans ce grand bal dévasté des idées ensablées. Il précise «il ne faut pas oublier que moi je ne suis pas un professionnel de la politique. Même pendant la campagne, je n’ai pas cessé d’être prof pour autant». Il pousse les portes du collège. Autour de la table, ils ne sont que 15 sur les 75 enseignants pour prendre note des nouvelles directives sur l’enseignement à distance en période de confinement. Mettre en ligne les cours d’histoire pour 175 élèves dont ceux destinés aux Sixièmes sur la démocratie athénienne considérée comme l’ancêtre de nos démocraties modernes. Philippe Ramondenc précise « mais nous, on fait de la démocratie et moi, je rêve d’un maire libre ».

 

Texte et photographies réalisés le mercredi 8 avril à Millau au 23ème jour du confinement