Un long couloir, un très long couloir, sombre et ténébreux. Une faible lumière, des portraits alignés, de femmes, mur de gauche, d’hommes mur de droite. Cadres noirs, visages fixes, regards fixesAu coin d’une porte, le portrait de René Bussy. Joues gonflées, lèvres fermées, souffle coupé. La lumière du flash, clac…deux lampes à déflecteur se projetant dans le cercle de la pupille. Photo officielle anthropométrique du prisonnier René Bussy au camp d’extermination de Auschwitz 1.
Assis devant l’objectif, l’homme est dos au mur, le col relevé, le buste droit, une épaule légèrement plus basse. Temps de pose, soixantième de seconde, profondeur de champ réduite. Une photo prise le 8 juillet 1942 entre 13h et 1h du matin, classée et conservée au centre de renseignements SS. Le photographe, un opérateur anonyme, lui-même détenu, affecté au Service de l’Identification géré par la police politique du camp. Sur la gauche, son identifiant, BV.F signifiant BerufsVerbrecher que l’on peut traduire par criminel professionnel, le F. pour symboliser la nationalité, française, suivi du matricule du prisonnier, le 45 319.
Plus de nom, plus de prénom, pas de surnom, plus d’histoire, plus d’espoir, plus d’amour, plus d’actes de bravoure, juste la peur, la terreur, juste cinq chiffres tatoués d’une encre noire sur l’avant-bras, 45 319.René Bussy n’était pas un criminel professionnel. Ce poseur de rails aux Etablissements Drouard en Seine et Marne était militant communiste.
C’est à ce titre qu’il est arrêté le 26 septembre 1941 puis relâché. Le 19 octobre suivant, il est appréhendé par la Felgendarmerie, la police militaire allemande, en représailles de distributions de tracts, destructions de récolte, incendies de meules et de hangars. Le 6 juillet 1942, de la gare de Compiègne, avec mille autres détenus politiques ainsi qu’une cinquantaine d’otages juifs, il est entassé dans un wagon de marchandise, destination finale le camp de concentration d’Auschwitz en Pologne. Le 8 juillet, il est enregistré sous le numéro 45 319. Le 9 août 1942, il décède et disparaît dans les ténèbres. Il avait 42 ans.
Seule subsiste cette photo miraculeusement préservée. Petit bout de film guère plus grand qu’un timbre poste, 6 x 12,5 cm de mémoire vive, un visage révélé, des souffrances innommables cachées. Yeux dans les yeux, pour soulever le voile de la terreur, de l’ignominie, de la barbarie, de la bestialité. Un visage pour ne pas oublier.
Photographies réalisées les 25 et 26 juillet 2021 dans le camp de Auschwitz-Birkenau, camp de concentration et d’extermination situé en Pologne où 1,1 million d’hommes, de femmes et d’enfants sont morts entre 1940 et 1945 dont 900 000 juifs victimes de la Solution Finale.