Le matin, c’est pas très compliqué pour me trouver. Je bois mon café place du Mandarous, là où le ristreto est brun, crémeux, épais, puissant. Je n’ai pas une place attitrée. Au gré des banquettes laissées libres par les lèves tôt comme moi qui viennent se poser les coudes sur le zinc ou sur l’une des tables pas encore poisseuses. Il y a le boucher, sa blouse blanche n’est pas encore maculée, ça parle de foot. Je n’y comprends rien. Il y a un jeune retraité. Lui, c’est un nouveau, pas d’ici. Je dirais ancien prof intello. Par les petits carreaux, je l’observe. Dehors, il fume sa clope, il rentre, chope Midi Libre. Il sort son BIC, les mots croisés ou fléchés, c’est son petit labyrinthe cérébral matinal. Il y a Nadège, elle parle fort, on ne comprend pas toujours. En si bon…ou mauvais…matin, elle est parfois dans les brumes d’un sommeil ravageur. Elle appelle le serveur « mon chéri ». Le jeune homme habillé d’un petit gilet cintré est sympa avec la dame bien cabossée. Il se prête au jeu, lui fait la bise, penché, le plateau à la main, à farfouiller dans ses poches ventrales à monnaies. Pas loin du comptoir, Il y a mamie, le serveur l’appelle « mamie ». Elle essuie, elle balaie, elle frotte, elle astique, elle range. Parfois, elle se met au perco. Elle regarde le noir coulé comme de l’or en fusion. De ses doigts fins, elle prend les tasses, un sucre et un biscuit le tout […]