Ca vaut bien un verre de vin chaud !

 

Je me souviens des frères Spanghero surtout Walter, Walter le laboureur, le déménageur, «l’homme de fer», immense mégalithe, virtuose au corps de granit. Je me souviens également des frères Camberabero, surtout Guy, le «Lutin de La Voulte», un fin limier, petit poucet aux pieds d’or pour transformer l’ovale en trésor.

Mais je l’avoue en dehors de cela, les années empilées sur une aiguille à tricoter, ma culture rugbystique est toujours aussi plate qu’un vieux tube de pommade camphrée vidé sur des muscles ankylosés. Je suis donc parti à Séverac le Château avec pour seuls provisions ces deux noms qui ont toqué à la porte de mon enfance, les jours de Tournoi des Cinq Nations. Je me souviens, juste un volet tiré sur ce passé, lorsqu’une pénalité était sifflée, quelque soit le camp, celui du Coq, du Trèfle ou de la Rose, j’allais me cacher dans la chambre de mes parents. Je fermais les yeux, je me bouchais les oreilles, je comptais jusqu’à 100 et je revenais m’assoire devant le petit écran. Heureux ou malheureux ? Je gardais toujours quelques carrés de chocolat au cas où pour adoucir les échecs, je n’étais pas si malheureux que cela !

Séverac le Château joue au stade de la Cartonnerie bordé d’une traditionnelle rangée de peupliers, le camping municipal en contrebas, quelques pavillons bâtis aux premières loges et le château médiéval, la fierté du village, posé sur son trône, vestige préservé en tour de vigie sur son talus aux angles aigus. J’ai payé mon entrée, deux euros seulement. Avec insistance, une gentille dame congelée dans sa petite guitoune m’informa « n’oubliez pas votre ticket pour le tirage de la bourriche à la mi-temps». Numéro 107, pas de chance, le panier garni me fila sous le nez. Dehors, c’était ambiance moufles, goutte au nez, rhum à la volée et vin chaud. Ce fut mon lot de consolation, juste un petit verre, savoureux, à la cannelle bien parfumé, me réchauffant les bajoues, me déliant le bagou. Un ancien du club de me servir et de m’expliquer « ici, c’est un club de village. Le 10, là-bas, c’est un éleveur de dromadaire à La Blaquière. Il fait aussi de la brebis. On a également un tondeur de mouton, un boucher, un pépiniériste». Sans oublier, le président du club, Jean Michel Herail lui-même agriculteur reconverti dans le bio avec ses vaches laitières.

Alors c’est quoi le rugby de village ? Du haut du château, dans l’embrasure d’une archère, ça donne cela : la famille emmitouflée par petits paquets collés serrés, quelques pépés, cane à la main, en retrait, le dos au soleil, l’œil vif qui se régalent quand les coups giclent de la boîte à gifles, le préposé à l’affichage et sa grosse boîte en bois, les arbitres de touche et leurs chasuble larges comme des bavoirs pour sumos et puis les joueurs, des gars qui payent leur licence, des gars d’ici et de pas loin, des jeunots, les fils de.., des gaillards et leurs bons gros jambonneaux mais pas que, des athlétiques mais pas que. Il y a Sylvain, c’est le meneur, formé à Millau qui a labouré plus d’une herbe grasse et tondu plus d’une pelouse gelée dans toute l’Occitanie. Dans la vie p’tit patron de Crea Verde, le dimanche p’tit patron d’une équipe qui joue sérieux et qui fait de son mieux avec ses manques, ses carences, avec son Haka et ses Yaka. C’est du cousu main à la grosse aiguille et fil de crin qui parfois craque aux coutures quand ça tire fort dans les mêlées écroulées.

Qu’importe, ça balance, c’est inspiré ou non. Avec ces coups de mou, de bambou, de grisou. Avec ce petit côté tournoi médiéval, joutes d’antan à contre temps qui se termine en se serrant la louche, suivi d’une bonne douche et quelques déconnades, par une bonne bière et la soupe à l’oignon pour atténuer les gnons. Bien loin des pots de créatine et des patchs de stéroïdes qui polluent les jardins secrets de l’ovalie.

Avant de rentrer sur la pelouse, le quinze de Séverac crie «CHAAAAA….TOOOOOO», le rugby de village, ce sont ces petits eldorados du dimanche, le talonneur joue au torpedo, les « gros » font les béliers, l’ailier fait le chamelier, on y joue les Spanghero et les Camberabero. A la fin de la partie, maillots trempés, joues tuméfiées, mèches plaquées, le groupe se réunit à nouveau en cercle, on crie «CHAAAA…TOOOO». Ca vaut bien un verre de vin chaud !

 

 

Photographies réalisées le 19 janvier 2020 à Séverac le Château – Aveyron lors d’un match de rugby en Régionale face au club de Villemur