admin3528

12 avril 2020

« Bon anniversaire Charly »

MILLAU-VID   Il s’appelle José. Une petite quarantaine, un peu plus, un peu moins… Un peu balourd, un peu timide. Il est arrivé de loin, à petits pas, le buste en avant, traversant ce grand porche sombre, légèrement voûté comme s’il craignait un nuage de toiles d’araignée. Il s’est arrêté devant la flèche blanche marquée au sol. Jeanne, Brigitte, Catherine et Lucie l’ont accueilli. Il s’est approché. Lucie a coché sur son registre, Brigitte a saisi vigoureusement une brique de lait et Catherine s’est emparée d’une poche de victuailles, des biscuits, des conserves, des sardines en boîtes, du café, un filet de pommes de terre. L’homme a tendu sa carte et une pièce de deux euros puis il a osé, des mots, débit rapide, comme une urgence s’emparant de lui «je vais travailler au Chéran mais je n’ai pas de chaussures, pas de pantalon». Il se baisse, il regarde sa paire de baskets comme un bien cher et précieux qu’il ne veut pas souiller à piétiner dans ces terres maraîchères, meubles et sablonneuses. C’est Catherine qui lui ouvre la porte de ce pavillon, qui autrefois, lorsque le train sifflait plus que trois fois, abritait le chef de gare et sa famille. C’est l’espace friperie, des couloirs sombres et confinés, des pièces petites, le tout bien chargé, bien rangé, bien étiqueté avec le coin enfants, femmes, hommes et chaussures. José trouve une chemise à carreaux, une ceinture. Il tente de rentrer dans une paire de mocassins noirs. Il se tortille, une […]
12 avril 2020

« Je rêve d’un Mandarous piétonnier »

MILLAU-VID   Il y a quelques mois, j’avais couché cette longue phrase écrite d’un souffle, en une respiration «J’aime autant mon ristretto que cette ambiance de bruit de tasses vous brisant les tympans à peine réveillé….de ces bouts de phrases s’entrechoquant, virevoltant comme portés par une nuée de bourdons…de ces fameuses brèves de comptoir parfois stupides, parfois perfides, parfois limpides de sagesse….de ces allers et venues, de ces chassés croisés, les commandes passées à la volée par des timides, des vaseux, des grincheux, des polis, des amoureux, des fracassés, des fumeurs qui puent déjà le tabac froid, des divorcées qui matent le serveur, des vendeuses pomponnées, défrisées au fer à lisser».   Ce matin, Frédéric Balard est seul assis à une table, un jeu de clefs et une tasse de café vidée devant lui. Derrière lui, le menu posé comme un chevalet sur ses trois pieds. Sur le comptoir, une bouteille de détergeant, des soucoupes empilées, un seau à champagne. Rien d’autre. Pas un bruit de fond, les frigos, le perco, les ragots, Alberto et son rire franc et avenant, rien. Juste le bruit mou d’un Mandarous qui fait la moue. Quelques passants, quelques voitures, des pigeons qui chient sur les capots, sur le trottoir, pas un mégot.   La Boca a fermé le samedi 15 au soir, comme la Brasse, le Délice, la Perle, Le Mirador et l’ensemble des bistrots de Millau baissant le rideau. Les tables, les chaises empilées, cadenassées, les auvents repliés, le dernier menu à la […]
10 avril 2020

Je te l’ai dit…

MILLAU-VID     Ce matin sous les halles, j’ai croisé Fabienne. Ce n’est pas habituel. En réalité, on ne se croise jamais. Et là, en si peu de temps, deux fois de suite, le temps d’échanger entre deux étals, une tranche fine d’un petit bout de vie confinée. Le temps qu’elle me donne le contact de sa sœur Marie, une artiste plasticienne reconnue qui en ces temps d’introspection ouvre quotidiennement un petit atelier d’écriture. Au 25ème jour du confinement, celle-ci débutait son message par ces mots : voici la consigne, écrire un poème commençant par «je te l’ai dit…comme «je te l’ai dit pour les nuages« de Paul Eluard. Pour accompagner ces photos prises dans les rues de Millau lors de la quatrième semaine du confinement, j’ai pris mon stylo et moi-aussi, je me suis jeté à l’eau…   Je te l’ai dit pour les masques, Ca n’évite pas les grimaces, ça n’évite pas les bourrasques. Je te l’ai dit pour les gants, Ça ne desserre pas les carcans, ça n’évite pas les ouragans. Je te l’ai dit pour les distances, Ca ne supprime pas les confidences, ça ne supprime les défiances. Je te l’ai dit pour le gel, Ca ne recolle pas les vieilles semelles, ça ne colmate pas ce grand bordel. Pour les visages écarquillés, les regards familiers, Pour les mains gercées, les phalanges tétanisées, Pour les pieds martelés, les orteils ankylosés, Pour le vent, l’air, le souffle respiré, empoisonné. Je te l’ai dit, tu m’as dit «approches […]
9 avril 2020

« Moi, je rêve d’un maire libre »

MILLAU-VID   Pas même une éraflure, pas même une déchirure. Même pas une petite moustache au stylo barbouillée, même pas une dent noircie au feutre noir, même pas une petite injure, un «fuck» par ci un «fuck» par là griffonné à la va-vite…Les affiches des Municipales sont restées intactes comme si nous étions restés en entracte, le rideau baissé, dans l’attente infinie de l’acte 3, le dénouement, de cette petite comédie-tragédie locale. Les chemises blanches sont restées blanches, les sourires de circonstance sont restés crispés, les vestons bien ajustés, les slogans, les engagements de chacun comme figés à la colle extra forte sur les panneaux électoraux… »Avec vous»…»Aujourd’hui au plus proche de vous»… »Avec vous pour demain … »Continuons ensemble» et pour la liste Alternative, un seul mot dans le coin extrême gauche de la photo de groupe «Urgence». 24 jours après ce premier tour des Elections Municipales, je retrouve celui qui a écrit sur sa profession de foi «Aujourd’hui au plus proche de vous». Philippe Ramondenc habite sur les hauteurs de Millau, là où autrefois son grand père grimpait de buis en buis à travers causse, le fusil et la gibecière à l’épaule pour chasser le perdreau. Les cerisiers sont en fleurs, le barbecue attend des jours meilleurs, la brouette attend un peu de courage de la part du propriétaire et le chien, un jeune setter anglais joue les feux follets. Philippe Ramondenc me reçoit barbu, il se frotte les deux joues, il s’en excuse. Nous rentrons. J’essaie une question d’introduction, […]
7 avril 2020

On retrouvera le chemin de la vie

MILLAU-VID   «C’est vide comme le matin. C’est vide comme un matin qui dure. On se dit encore un matin pour rien. C’est impressionnant, c’est une ville qui s’éteint. Mais je crois en la sortie. On retrouvera le chemin de la vie» Ne chercher pas, ce ne sont pas les paroles chopées sur la scène du Club-Club, un bar de Pigalle, où les slamers aux « grands corps malade » déballent leur colère, leur vague à l’âme où leur amour perdu. J’ai face de moi, à deux tables de mon calepin, Hubert Henry, seul dans sa Brasserie. Dans cette immense salle de restaurant à la déco chic-rétro, en d’autre temps ce serait Happy Hours, aujourd’hui, malgré la crise, ce n’est pas pour autant soirée « Mauvaise Humeur ».  Je lui lance des mots à la volée, il reprend en ligne de fond, en amorti : « le silence ? » « le silence, ça me rappelle quand j’étais seul sur le chantier en fin de journée, les portes fermées. « l’odeur ? » « c’est l’odeur d’un endroit confiné qui aurait besoin d’une ventilation L’agitation ? » « je le dis souvent, quand je suis derrière dans mon bureau, je sens que ça vie, que ça bouge, c’est intuitif, c’est comme une perception ». La Brasserie Le Bureau, c’est la tête de pont de l’Espace Capelle, la proue, l’étrave de cette immense barge commerciale. Depuis le vendredi 14 mars, Hubert Henry a jeté l’encre, le bateau à quai au pied de la Pouncho, les cordages tendues par-dessus la jetée, les nœuds de taquet bien serrés pour […]