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31 mars 2020

Si on laissait nos cœurs au pouvoir des fleurs

    MILLAU-VID   Chaque année, début octobre, acheter les fleurs des Templiers, c’est comme un rituel de saison.  Se rendre à la serre de Raujolles, cheminer dans les allées en se laissant porter par une douce chaleur humide, pour admirer les fleurs en robe de saison qui se pavanent fières et altières. S’il le faut, se mettre le nez dans ces bouquets en suspension à la recherche d’un parfum puissant pour enfin dénicher la plante qui aura belle et fière allure sur la scène des Templiers, un privilège d’être choisi ainsi pour être alignée aux premières loges des arrivées, les vainqueurs à leurs pieds. C’est comme se rendre aux jardins des mille couleurs, à deux pas de Millau, au pied du ruisseau de St Martin qui prend sa source tout près dans le cirque du Boundoulaou où les chauves souris ne craignent pas le hibou.   Les deux frères, Hubert et Didier et leurs épouses Bénédicte et Marie Françoise reçoivent sur leur pas de porte. Le parking est désert. En catastrophe, ils ont ouvert un drive en sauve qui peut, une grande table, une sonnette et un petit étalage avec une barquette de pensées.  Mais l’entrée de la serre est interdite. Pas de déambulation nonchalante et curieuse à s’interroger sur le nom exotique des fleurs qui explosent de couleurs, gazanias, alstroemerias, rosiers polyanthas…. Des tapis de mauve éclatant, des rangées de bordeaux pulpeux, des lignées de jaune d’or, des colonnes de violet pimenté comme une parade chinoise ordonnée et […]
30 mars 2020

La rue, elle dévaste ces gars comme le corona

MILLAU-VID   « Je n’aime pas dire SDF ». Tee-shirt noir, casquette noire, ganté de noir, Abilin se retourne d’un quart. Dans le crépitement de la friteuse, il force la voix «moi, je préfère dire « vagabond». Etienne est donc un vagabond. Il porte un pantalon kaki, un blouson kaki, une seconde veste rouge et une chemise kaki. Espère-t-il rester ainsi anonyme, invisible dans cette forêt urbaine avec son petit chien Fissa, la fille de Ficelle ? Il s’est assis au coin de la rue du Sacré Cœur, à ses pieds, son duvet, son sac à dos, lui aussi kaki. «C’est curieux, les gars sont très ponctuels, tu leur dis, je serai là à 18h30. Si tu as du retard, ils disparaissent, tu ne les retrouves pas». Abilin, c’est le propriétaire du Othentic Chicken ouvert il y a presque deux ans dans cette ancienne charcuterie qui autrefois servait le pâté en croûte et les vols au vent aux fruits de mer. Le soir entre deux menus box à base de cuisses de poulet frit, il ferme la boutique quelques minutes et maraude autour de la Tine et du Mandarous et sert des repas aux vagabonds. Un sandwich ou un burger, de l’eau, un cornet de frites et une petite causette pour parler de rien, d’un peu, du froid amère, d’un quotidien délétère. «Plus que jamais, ils ont besoin de notre aide. Ils sont une petite dizaine à dormir dehors». Etienne est de ceux-là. Il parle avec un bel accent du […]
30 mars 2020

Le chauffeur me klaxonne, je lève la main par instinct

  MILLAU-VID   Il y a l’ouverture de la pêche, l’ouverture de la chasse mais aussi, plus confidentielle, l’ouverture de chez Bras. Pas les Bras père et fils de Laguiole installés au Suquet qui ont dit « fuck you » à la dictature du Petit Livre Rouge Etoilé mais le Bras des Capucins qui chaque année aux alentours de Pâques ouvre la Bergerie de Brocuéjouls aux beaux jours d’un printemps renaissant. Ce n’est pas vraiment un restaurant, ce n’est pas vraiment un snack, ce n’est pas vraiment un bistrot. C’est tout simplement chez Bras, du Bras tout craché, ce chercheur de saveurs, ce peintre réaliste de l’assiette composée en oeuvre gourmande. Un espace surprenant sur la route du sud, en contre bas du Viaduc de Millau, installé dans cette grange-bergerie magnifiquement restaurée, halte autorisée pour souffler, respirer, grignoter et admirer le Tarn se la coulant douce dans cette entaille prise en tenaille entre Larzac et Causse Rouge. Ce lieu atypique tenu par André, le frère de Michel, devait ouvrir le samedi 28 mars. Les portes sont restées closes. Une palissade en bambou ferme l’entrée sud. Les capucins ont piqué du nez, cette crêpe pointue comme un triangle isocèle inversé, née de l’imagination fertile et poétique de ce fils d’Aubrac. On est dimanche, c’est pénitence, c’est silence, matière fluide à savourer ou à redouter sur ce parking marbré comme un immense scarabée zébré. Instant de sérénité ou de doute à peine perturbé par le passage de très rares camions et ce bruit si […]
29 mars 2020

Que va-t-il nous rester de ces airs de Douala ?

  MILLAU-VID   Petite ballade autour de la Pouncho et dans Millau, le jour où j’apprends la disparition de Manu Dibango à l’âge de 86 ans, emporté par le virus. Quelques mots rien que pour lui que j’ai tant aimé et écouté.   Une Pouncho sans Manu Dibango, Boss, ta bien droit à un dernier coup de chapeau. Sur Baobab Sunset, T’avais fait main basse sur le makossa, Merci, dans Bolingo City, on s’est gavé à grands fracas. Une Pouncho sans Manu Dibango, Boss, j’vais encore m’enfiler un verre de porto. Déjà que Francis Bebey nous a filés dans les doigts, Que va-t-il nous rester de ces airs de Douala ? Une Pouncho sans Manu Dibango, Boss, t’as joué du twist, du blues, du funk, du mambo, mambo. T’as même accompagné Nino Ferrer et Gainsbourg, Mais putain aujourd’hui, dernier rideau, sans ton saxo, c’est peut être le grand jour, mais c’est sans retour. Une Pouncho sans Manu Dibango, C’est comme Soweto sans Ladysmith Black Mambazo. Boss, t’étais un costaud, t’as même failli de faire piller par Rihanna, Mais là haut, tu peux lui faire un doigt, tu seras toujours Mister Black Makossa.     Textes et photographies réalisés le 24 mars 2020 dans les rues de Millau au 8ème jour du confinement
29 mars 2020

« C’est ça le service public »

  MILLAU-VID   J’ai bien failli louper le bus. Je l’ai vu au loin rentrer dans l’impasse du Lycée Jean Vigo, j’ai pressé le pas. Comme un parisien perdu en chemin, j’ai demandé « La ligne 2, c’est bien celle-ci ?». Le chauffeur intrigué me rétorquant « c’est bien à Géant que vous allez ? ». Les portes se sont fermées. Je me suis mis le nez à la fenêtre. Cap sur Géant, il était 14h10 départ pour un petit voyage gratis. José, c’est le chauffeur, vingt ans de métier, à trois mois de la retraite. Dans une autre vie, il fut cuistot, neuf ans à l’International Hôtel, du temps de Madame Hélène la cheffe de rang, du temps de Maria la serveuse, du temps où cette bonne table attirait les bourgeois de la ville, gantiers, avocats, médecins et chirurgiens endimanchés, femmes en jupes plissées et corsages à fleurs sauvages. Entre deux ronds points, José de se souvenir, le nez sur le volant «on ne comptait pas nos heures. Parfois 17, 18 heures, fallait tenir la cadence». A trois mois de la quille, José roule tranquille. Déjà le Mandarous, pas un chat, on grimpe la République, une petite musique s’échappe de l’avant du bus «j’aime bien Nostalgie ». Balavoine chante «je ne suis pas un héros»…12 minutes top chrono, on est déjà sur le parking de Géant Casino. Le bus retour est à 16h, j’ai une heure trente pour arpenter ces parkings orphelins, ce goudron qui ne craint pas le trop […]